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Photo du rédacteurSchmidt Brunet Litzer

Équilibre entre droit à la preuve du salarié et droit au respect de la vie privée ?



Le droit à la preuve a toujours généré une actualité abondante : non seulement parce qu’il concerne tous les domaines du droit, mais aussi puisque c’est un droit qu’il convient de concilier avec d’autres, tel que le droit à la vie privée.

Comment prouver les faits nécessaires au succès de sa prétention tout en respectant toujours le droit au respect de la vie privée ?

C’est la question à laquelle la Cour de cassation a progressivement répondu en définissant la méthode à suivre pour déterminer les situations dans lesquelles le droit à la preuve peut justifier des atteintes au droit de chacun au respect de la vie privée.

Ces récentes décisions offrent un mode d'emploi aux juges du fond davantage en phase avec les c

critères définis par la CEDH.



Sommaire :

1. Le champ traditionnellement restreint du droit à la preuve

2. L’apport de l’arrêt de la Cour de cassation du 8 mars 2023 : l’élargissement du champ de la preuve légitime



FoxRH, le cabinet aux Opportunités RH et paie








1. Le champ traditionnellement restreint du droit à la preuve


Traditionnellement, les preuves présentées par une partie étaient soit licites et donc recevables, soit illicites et donc irrecevables.

Si l'employeur ne disposait d'aucun autre moyen de preuve que ceux jugés irrecevables, la sanction infligée au salarié était nécessairement injustifiée alors même que la matérialité des faits était constatée.

L’illicéité de la preuve pouvait être constituée lorsque la preuve portait atteinte à certaines lois ou certains droits. En effet, en application de l’article L. 1222-4 du code du travail, la preuve, issue du dispositif de vidéosurveillance est considérée comme illicite lorsque le salarié n'a pas été préalablement informé. De même, une preuve obtenue en violation du droit à la vie privée protégée par les articles 9 du code civil et 9 du code de procédure civile était irrecevable.


La chambre sociale de la Cour de cassation rejetait donc automatiquement les moyens de preuve obtenus de manière illicites.

Par exemple, un salarié avait été licencié pour avoir refusé d’utiliser son badge à la sortie de l’entreprise. Le licenciement a été jugé sans cause réelle et sérieuse au motif qu’il n’y avait pas eu de déclaration à la Commission nationale de l'informatique et des libertés d'un traitement automatisé d'informations nominatives préalable. [1]


Pour autant, depuis 2020, la jurisprudence a clairement infléchi sa position, puisque aujourd'hui un mode de preuve déloyal et illicite peut être valablement versé aux débats sans qu'il soit forcément rejeté par le juge. Cet infléchissement a été rendu possible grâce à l'application d'un contrôle de proportionnalité faisant parfois prévaloir le droit à la preuve sur d'autres droits et libertés fondamentaux.




2. L’apport de l’arrêt de la Cour de cassation du 8 mars 2023 : l’élargissement du champ de la preuve légitime


La protection de la vie privée n’est pas un droit absolu, il doit être mis en balance avec d’autres droits fondamentaux et peut, dans certaines circonstances, céder devant le droit à la preuve.

C’est précisément ce qu’a jugé la Cour de cassation, dans un arrêt du 8 mars dernier, en approuvant l’arrêt d’appel qui avait ordonné à l’employeur de communiquer à une salariée les bulletins de salaires d’autres salariés occupants des postes de niveau comparable au sien avec occultation de certaines données personnelles, afin de lui permettre d’établir l’inégalité salariale dont elle s’estimait victime[2].


En l’espèce, la salariée, responsable de projets transverses dérivés, avait été licenciée après plusieurs années d’exercice au sein de la même société. Considérant avoir subi une inégalité salariale par rapport à ses collègues masculins occupant ou ayant occupé des postes similaires, elle avait saisi la formation de référé de la juridiction prud'homale, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, pour obtenir la communication d'éléments de comparaison détenus par ses deux employeurs successifs.

L’article 145 du Code de procédure civile dispose que s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé.


Les juges du fond avaient fait droit à la demande de la salariée et avaient ordonné, sous astreinte, la communication des bulletins de paye de 8 salariés masculins sur une période correspondant aux années d’exercice de la salariée au sein de la structure.

L’employeur a formé un pourvoi en cassation aux motifs suivants :

- La communication des données personnelles des salariés est contraire aux exigences du règlement européen 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 (RGPD) ;


- L’atteinte à la vie privée n’est pas indispensable à l’exercice du droit à la preuve dès lors que la salariée avait d’autres éléments de faits à sa disposition ;

La Cour de cassation a tranché et a approuvé les juges du fond d’avoir autorisé la communication des éléments portant atteinte à la vie personnelle d’autres salariés aux motifs que ces éléments étaient indispensables à l’exercice du droit à la preuve et proportionnée au but poursuivi, à savoir la défense de l’intérêt légitime de la salariée à l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail.


Les Hauts magistrats se sont donc fondés sur le caractère non absolu du droit à la protection des données pour faire primer le droit à la preuve. Cette utilisation « négative » de ce droit fondamental restreignant les droits d'un tiers est novatrice.

La mise en œuvre pratique d'une telle décision par l'employeur pourra néanmoins s'avérer délicate dès lors que le transfert des données doit être encadré et que les salariés dont les données vont être transférées doivent être informés.



Pour toute question, contactez-nous :


Bénédicte LITZLER

Aurélie DAVOULT

Elora BOSCHER


[1] Cass. soc., 6 avr. 2004, no 01-45.227 [2] Cass. soc., 8 mars 2023, no 21-12.492 FS-B



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