Edward Snowden, Irène Frachon, Stéphanie Gibaud : ces lanceurs d’alertes ont marqué le monde des entreprises ces dernières années en révélant des comportements illicites ou dangereux qui constituaient une menace pour l’intérêt général. Ces signalements n’étaient pas sans risque et nombreux sont ceux qui se sont retrouvés dans une situation très précaire.
Depuis le dispositif conçu par la loi Sapin II[1] relatif à la protection des lanceurs d’alerte, l’évolution du droit français était très attendue. C’est dans ce contexte que la loi du 21 mars 2022[2] est entrée en vigueur ainsi que le décret d’application le 3 octobre 2022.
Les lanceurs d’alerte bénéficient désormais d’une protection totale, à la fois dans le champ d’application (1) mais également dans le régime qui leur ait applicable (2).
Sommaire :
1. La nouvelle définition du lanceur d’alerte à l’origine d’une protection étendue
2. Le régime probatoire applicable au lanceur d’alerte favorable à sa protection
1. La notion de lanceur d’alerte, le bénéfice d’une protection élargie
La qualification de lanceur d'alerte peut s’avérer stratégique. Cette qualification permet de renforcer la protection de celui qui se risque à dire ce que d'autres préfèrent ignorer.
La nouvelle définition du lanceur d’alerte issue de la loi du 21 mars 2022 permet une extension du champ protecteur jusqu’à présent en vigueur.
La notion de lanceur d'alerte désigne désormais « une personne physique qui signale ou divulgue sans contrepartie financière directe et de bonne foi, des informations portant sur un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l'intérêt général, une violation ou une tentative de dissimulation d'une violation, d'un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d'un acte unilatéral d'une organisation internationale pris sur le fondement d'un tel engagement, du droit de l'Union européenne, de la loi ou du règlement ».
Le lanceur d’alerte n’est désormais plus entendu uniquement comme étant un salarié, mais peut consister en une personne qui agit en une autre qualité. Cette évolution met fin à une protection pensée uniquement en faveur des salariés au bénéfice d’une protection étendue au-delà du rapport d’emploi.
La loi précise en outre que, lorsque les informations n'ont pas été obtenues dans le cadre professionnel, le lanceur d'alerte doit en avoir eu personnellement connaissance. Ce faisant, le législateur vient élargir le champ des alertes pouvant être traitées.
Il est intéressant de relever que désormais les alertes pourront porter sur des « informations » relatives à un délit, un crime ou une violation de la loi mais également « les tentatives de dissimulations de ces violations ». Au-delà, la violation de la règle n'aura plus à être grave et manifeste.
La protection des lanceurs d'alerte est également reconnue aux personnes physiques en lien avec le lanceur d'alerte, aux entités juridiques contrôlées par ce dernier, mais aussi et surtout aux facilitateurs, c'est-à-dire aux personnes qui aident le lanceur d'alerte dans son signalement.
Sous l'empire de la loi Sapin II, seuls les lanceurs d'alerte au sens strict du terme pouvaient se prévaloir d'une protection, ce qui était clairement susceptible d'exposer l'entourage du lanceur d'alerte lorsque son identité était connue. Les facilitateurs peuvent être aussi bien des personnes physiques que des personnes morales de droit privé à but non lucratif.
Ainsi, concrètement, il pourra s'agir tant de collègues de travail ou de proches que d'associations, d'organisations syndicales, du Comité Social et Economique... Par cet ajout, la loi vient combler une lacune qui avait été signalée par de nombreux organismes.
2. Le régime probatoire du lanceur d’alerte, le bénéfice d’une protection étendue
La loi du 21 mars 2022 interdit expressément à l’entreprise d’exercer des représailles contre le lanceur d’alerte. L’entreprise ne peut pas le discriminer dans son évolution de carrière, ne peut pas le licencier, le sanctionner ou lui refuser des promotions parce qu’il a signalé ou divulgué des informations dans le respect des procédures de signalement.
Si toutefois le lanceur d’alerte venait à subir des représailles et qu’il était contraint d’agir en justice, il pourrait solliciter du juge l’allocation d’une provision pour couvrir ses frais d’avocats.
Lors de son recours, le lanceur d’alerte bénéficie de garanties procédurales tel qu’un allègement vis-à-vis de la charge de la preuve. En effet, le lanceur d’alerte peut se contenter de présenter des éléments de fait qui permettent de supposer qu'il a signalé ou divulgué des informations dans les conditions requises. Il appartient ensuite à la partie défenderesse de prouver que sa décision était dûment justifiée.
Précisément, dans une récente affaire, en date du 1er février 2023[3], la chambre sociale de la Cour de cassation est venue rappeler les exigences probatoires pesant sur l’employeur en matière de licenciement d’un lanceur d’alerte, y compris lors d’un litige devant le juge des référés.
Dans le cadre de cette affaire, la Cour de cassation devait notamment se prononcer sur l’étendue des pouvoirs du juge des référés lorsqu’il est saisi d’un litige relatif au licenciement d’un lanceur d’alerte.
Les faits concernaient une salariée embauchée en qualité de responsable de la transformation des infrastructures internes et exerçant, à la suite d’une mobilité, les fonctions de responsable du département offre et projet export au sein d’une filiale du groupe Thalès.
Cette dernière a saisi le comité d’éthique du groupe pour signaler les faits susceptibles d’être qualifiés de corruption mettant en cause l’un de ses anciens collaborateurs et son employeur. A la suite de cette alerte, elle a estimé subir une situation de harcèlement et en a informé le comité d’éthique. Le comité d’éthique a conclu à l’absence de situation contraire aux règles et principes éthiques. La salariée a ensuite été licenciée.
Estimant que ce licenciement n’était pas fondé, la salariée a saisi la formation de référé du conseil de prud’hommes pour, notamment, faire constater la nullité de son licenciement intervenu en violation des dispositions protectrices des lanceurs d’alerte, obtenir sa réintégration et le versement des salaires qui auraient dû lui être versés entre la fin de son préavis et sa réintégration.
Tant en première instance qu'en appel, la salariée a été déboutée de ses demandes au motif que le lien entre la détérioration de la relation de travail et l'alerte ne ressortait pas de façon manifeste.
La Cour de cassation est venue censurer cette décision et a affirmé que le licenciement d’un salarié en raison de sa qualité de lanceur d’alerte constitue un trouble manifestement illicite que le juge des référés devait faire cesser.
La portée de cette décision est essentielle en ce qu’elle met en lumière deux apports essentiels.
Dans un premier temps, il ressort de cet arrêt que lors du licenciement d’un salarié lanceur d’alerte, le juge doit se prononcer sur les éléments présentés par le salarié : il doit « apprécier si les éléments qui lui sont soumis permettent de présumer que le salarié a relaté ou témoigné de bonne foi de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime, ou qu'il a signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi no 2016-1691 du 9 décembre 2016 ».
Dans un second temps, s'il a estimé que le salarié a présenté de tels éléments, la charge de la preuve pèse alors sur l'employeur, et le juge doit rechercher si ce dernier « rapporte la preuve que sa décision de licencier est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de ce salarié ».
En conclusion : Le régime probatoire de faveur offert aux lanceurs d’alerte, doit également trouver à s’appliquer devant le juge des référés, et non seulement devant les juges du fond.
En outre, dès lors que le salarié a « présenté des éléments de fait qui permettent de supposer qu'il a signalé ou divulgué des informations dans les conditions prévues aux articles 6 et 8 », l’employeur est tenu de prouver que sa décision visant à le licencier était « dûment justifiée ».
Pour toute question, contactez-nous :
Bénédicte LITZLER
Aurélie DAVOULT
Élora BOSCHER
[1] Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique [2] Loi n°2022-401 du 21 mars 2022 [3] Cass. Soc. 1er février 2023 n° 21-24.271 P
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