top of page
Photo du rédacteurLa team FoxRH

Le travail à distance dessine-t-il le futur du travail ?


e travail à distance dessine-t-il le futur du travail ?

"Le travail à distance dessine-t-il le futur du travail ?", Marie-Laure Cahier et Suzy Canivenc répond à nos questions dans cette nouvelle interview.


Sommaire :

  1. Qu’est-ce qui vous a poussées à écrire cet ouvrage ?

  2. Quelle est la subtilité entre télétravail et travail à distance ?

  3. Pourquoi parler de « futur du travail » pour une pratique qui existe depuis bientôt plus de 50 ans ?

  4. Productivité et travail à distance sont-ils compatibles ?

  5. Quels sont les enjeux du travail à distance en termes de QVT ?

  6. Un conseil pour l’avenir ?


FoxRH cabinet de recrutemement aux opportunités RH et Paie






1) Qu’est-ce qui vous a poussées à écrire cet ouvrage ?


Marie-Laure Cahier : La Chaire Futurs de l’industrie et du travail de Mines Paris PSL travaille avec des mécènes parmi lesquels des grandes organisations comme Orange et Renault. À l’automne suivant le premier confinement, ces organisations ont ressenti le besoin de réfléchir dans un cadre distancé à l’expérience qui venait d’être vécue et à toutes ses implications en matière d’organisation du travail, de lieux et de temps de travail, de management et d’accompagnement, etc.


La perspective n’était pas seulement de s’arrêter à l’ici et maintenant ou de préparer de futurs accords « télétravail », mais aussi d’ouvrir des perspectives sur le futur de l’organisation du travail. Nous avons alors organisé des auditions avec des experts de différentes disciplines et des managers, au cours desquelles différentes problématiques ont émergé.


Nous avons alors décidé de les éclairer par des recherches complémentaires à partir des travaux académiques qui existaient déjà sur ces questions, puis de les nourrir avec les dizaines d’enquêtes, sondages, articles, témoignages parus jusqu’en avril 2021 sur la question du télétravail. Le résultat de ce processus est ce livre qui offre une vue panoramique sur les enjeux du travail à distance et invite les entreprises et les partenaires sociaux à se poser les bonnes questions sur la combinaison de travail présentiel et à distance qu’ils veulent instaurer à l’avenir.



2) Quelle est la subtilité entre télétravail et travail à distance ?


Suzy Canivenc : « Travail à distance » nous semble être une expression moins restrictive que « télétravail ». Quand on évoque ce dernier terme, on pense tout de suite au télétravail effectué depuis le domicile. En réalité, cette modalité de travail peut se réaliser dans d’autres lieux : transports, hôtels, locaux des clients dans le cas des travailleurs mobiles, ou encore dans des tiers lieux (espace de coworking, bibliothèque, café).


Le terme de « travail à distance » englobe également les activités qui se déploient inter et intra-site (dans des bureaux, étages ou bâtiments différents, filiales éloignées) : ce type de dispersion paraît plus évident mais impacte aussi les activités collaboratives dans le cadre d’une entreprise étendue. Enfin, juridiquement, « télétravail » renvoie uniquement aux salariés, alors que le travail à distance concerne beaucoup d’autres actifs.



3) Pourquoi parler de « futur du travail » pour une pratique qui existe depuis bientôt plus de 50 ans ?


M.-L. C. : Avant la crise pandémique, le télétravail était une pratique certes en progression, mais qui restait tout de même très limitée (de l’ordre de 3 à 19 % de la population active si l’on ajoute le télétravail occasionnel ou informel). Il était en outre plutôt élitiste et masculin, privilégiant les cadres et les professions intermédiaires supérieures, et dans un nombre limité de secteurs (banque-assurances, technologies, recherche, etc.). C’était du télétravail « au cas par cas » considéré comme une faveur ou un bénéfice social, et les employeurs tendaient à l’assimiler plus à la télé qu’au travail. Traditionnellement, les syndicats à l’exception de la CFDT n’y étaient pas non plus favorables.


Même si l’accès au télétravail sanitaire est resté inégalitaire, il a tout de même amené une large démocratisation de cette forme de travail, puisque 44% de télétravailleurs du premier confinement étaient des primo-accédants (qui expérimentaient cette forme de travail pour la 1ère fois) et 75% l’ont expérimenté pour la 1ère fois à 100%.


Cette expérimentation à large échelle a fait évoluer les représentations que chacun pouvait avoir du télétravail : elle a convaincu beaucoup d’employeurs (mais pas tous) des bénéfices que pouvaient représenter pour eux le télétravail (réduction des coûts immobiliers, plus de flexibilité, accélération de la diffusion des technologies, attractivité de la marque employeur, accès à un bassin élargi de candidats, etc.). Côté salariés, ceux qui l’ont expérimenté à 100 % ont pu aussi découvrir qu’il y avait des inconvénients (isolement, surtravail, difficultés de coordination, etc.).


Mais globalement, la satisfaction des salariés à l’égard de cette forme de travail reste très élevée, de l’ordre de 75 %, et la demande à la pérenniser est forte. Il paraît donc très difficile et peu souhaitable de revenir en arrière. Le défi qui se pose maintenant est d’organiser ce que l’on appelle faute de mieux « le travail hybride » généralisé, en répondant aux attentes des salariés comme aux exigences de performance des entreprises. Or les conditions pour réussir ce travail hybride sont nombreuses : nous entrons donc dans une nouvelle phase d’expérimentation. Et c’est d’ailleurs pour cette raison que de nombreux accords de télétravail prévoient une clause de revoyure assez courte, de l’ordre de 6 mois.



4) Productivité et travail à distance sont-ils compatibles ?


M.-L. C. : On a entendu sur ce sujet un peu tout et n’importe quoi, sur la base d’études anciennes et aux méthodologies douteuses. La première chose qui est à peu près sûre est que le télétravail a produit une tendance au surtravail, c’est-à-dire un allongement du temps de travail journalier ou hebdomadaire. Mais les résultats de ce surtravail sont incertains et peu généralisables :


a) soit le surtravail a juste permis de maintenir l’activité (ce qui signifie une diminution de la productivité) : les gens on travaillé plus longtemps pour réussir à faire leur travail normal, parce que les coûts de coordination étaient initialement importants, entraînant des tunnels de visioconférence ou parce que les salariés ont dû combiner leur journée de travail avec l’école à la maison (1er confinement) ;


b) soit le télétravail a effectivement permis de générer des gains de productivité, en raison d’une meilleure concentration, de moindres interruptions, d’un réinvestissement dans le travail du temps économisé dans les transports. Quoi qu’il en soit, des gains de productivité qui seraient générés par le surtravail ne sont pas durables et tendent naturellement à s’épuiser avec le temps.


La 2e chose à peu près sûre, c’est que d’éventuels gains de productivité dépendent beaucoup de la manière dont le télétravail est mis en œuvre : double volontariat, accord-cadre de qualité, conditions matérielles (équipement, logement), type de management, compétences numériques et compétences sur le poste. La satisfaction des salariés à l’égard des conditions du télétravail est un facteur favorisant la productivité.


La 3e chose à peu près sûre, c’est qu’en matière de productivité, le travail optimal n’est ni à 100% sur site, ni à 100% en télétravail. C’est la fameuse courbe en cloche ou en U inversé issue des travaux de l’OCDE : l’’efficience des travailleurs augmente à la faveur d’une certaine intensité de télétravail mais diminue lorsque celui-ci devient excessif. Il y aurait donc une zone idéale où le niveau de télétravail maximise l’efficience des travailleurs, mais la forme exacte de la cloche n’est pas déterminée et dépend des secteurs d’activité et des professions. Le curseur est donc à déterminer par chaque entreprise, mais il semblerait que se dessine une sorte de nouveau consensus social autour de 2 à 3 jours de télétravail hebdomadaire.


Si l’on regarde ces 3 éléments (surtravail, conditions de mise en œuvre, quantité de télétravail), on peut se dire que globalement avec plus d’expérience de mise en œuvre, une meilleure autorégulation du temps de travail, de nouvelles routines managériales, un bon niveau d’équipement et une fréquence adaptée, alors le télétravail peut effectivement devenir vecteur d’une productivité accrue, mais cela n’a absolument rien de mécanique ni d’automatique. Le télétravail, comme le travail mixte ou hybridé, doit être accompagné sur chacun de ces points.


5) Quels sont les enjeux du travail à distance en termes de QVT?


S. C. : Le télétravail peut être porteur d’importants risques psycho-sociaux : allongement du temps de travail et surconnexion à l’origine d’une forte fatigue, sentiment d’isolement et délitement du lien à l’équipe voire plus globalement à l’entreprise, manque d’information et d’écoute et difficultés de coordination entraînant une multiplication des visioconférences. Pour toutes ces raisons, le télétravail a rapidement été associé à la montée du mal-être des salariés qui est rapidement apparu dans les enquêtes et sondages.


Il est cependant ici important de souligner que le télétravail sanitaire, imposé de manière précipitée à 100 %, n’a rien à voir avec une pratique normale. Qui plus est, il s’est déployé dans un contexte anxiogène du fait de la crise sanitaire où par ailleurs toute activité sociale était interdite ou réduite.


Lorsque le télétravail est choisi, et non subi, et qu’il s’effectue de manière intermittente (une partie de travail sur site et une partie à distance) dans le cadre de processus organisationnels réfléchis, il peut être porteur d’une plus grande qualité de vie pour les salariés : économie de temps de transport, souplesse des horaires, meilleure conciliation des temps sociaux, sentiment d’autonomie dans la réalisation de son travail, possibilité de travailler au calme dans un environnement moins bruyant et avec moins d’interruptions.


Ces aspects sont eux aussi clairement ressortis des enquêtes et expliquent la forte appétence dont témoignent aujourd’hui les salariés envers le télétravail, malgré une expérimentation en mode dégradée.



6) Un conseil pour l’avenir ?


S. C. : Le travail hybride, qui semble en passe de devenir la nouvelle norme organisationnelle, nécessite de réfléchir et de formaliser différemment les processus organisationnels et communicationnels, afin que cette nouvelle modalité soit porteuse de performance autant que de QVT.


Lors de la crise sanitaire, les entreprises se sont souvent contentées de calquer les processus propres au travail sur site dans le monde virtuel : le mail pour la communication asynchrone, et la visio à la place des réunions physiques. Or, cette nouvelle forme d’organisation du travail nécessite d’expérimenter de nouvelles pratiques dont l’expérience sélectionnera les plus pertinentes.


Dans notre ouvrage, nous conseillons de partir d’un dialogue professionnel au plus près du terrain pour déterminer les tâches qui doivent se faire impérativement sur site, celles qui sont plus efficaces à distance, et celles qui peuvent être réalisées à distance mais qui se révèlent plus efficaces en présentiel.


Cela permettra de définir pour quels types d’activités les salariés doivent vraiment revenir au bureau. Ils seront de moins en moins nombreux à accepter de faire trois-quarts d’heure de transport, pour mettre un casque, lire des mails ou assister à une visio. A n’en pas douter, l’expérience inédite que nous avons vécue en 2020 et 2021 va nous aider à y voir plus clair.


L’hybride pose également des défis de taille en terme de communication et notre ouvrage dessine aussi quelques pistes en ce sens : développer une culture de l’écrit permettant de documenter les information nécessaires à l’activité de travail, repenser les procédures d’organisation et de coordination, réfléchir aux usages pertinents pour chaque outil de communication afin de déterminer quel média est le plus approprié en fonction du message (téléphone, visioconférence, mail, messagerie instantanée, réunion en présentiel, etc.), tester aussi de nouveaux outils numériques de collaboration, etc.


Nous entrons donc dans une nouvelle phase de tâtonnement avant que de nouveaux usages se stabilisent. C’est une période qui va être compliquée mais aussi très excitante.



Canivenc S., Cahier M-L., Le travail à distance dessine-t-il le futur du travail ?, Les Notes de La Fabrique, Presses des Mines, juin 2021.


Canivenc S., Cahier M-L., Le travail à distance dessine-t-il le futur du travail ?, Les Notes de La Fabrique, Presses des Mines, juin 2021.


Une interview de Marie-Laure Cahier et Suzy Canivenc par Tiphaine Rabolt pour FoxRH.







FoxRH cabinet de recrutement RH et Paie

Comments


bottom of page