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Le tabou de la grossesse en entreprise : on en parle ?


Le tabou de la grossesse en entreprise

Dans cette interview de Judith Aquien concernant son ouvrage "3 mois sous silence" aux éditions Payot, elle vous parle de sa vision sur le tabou de la grossesse en entreprise et des comportements à adoptés.



Sommaire :


1. Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire sur ce sujet ?

2. Pour vous, ces 3 premiers mois de grossesse ont-ils un impact sur la vie d’une femme en entreprise ?

3. Comment expliquez ce phénomène des 3 mois sous silence ?

4. Ces 3 premiers mois sous silence ont-ils été les plus compliqués pour vous ? Auriez-vous voulu qu’il y ait des actions misent en place pour éviter cela ?

5. Sujet délicat, mais dont il faut parler : la fausse couche, comment l’entreprise peut-elle accompagner au mieux les salariées dans ce cas ? Quels dispositifs ?

6. Comment changer les mentalités et faire disparaitre cette « règle des 3 mois sous silence » ?

7. Si vous aviez un conseil pour les entreprises à l’égard des femmes enceintes ? Et pour les femmes enceintes ?


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1. Qu’est-ce qui vous a poussée à écrire sur ce sujet ?


J’ai écrit Trois mois sous silence parce que je l’ai cherché, d’abord en ayant traversé un arrêt naturel de grossesse (aka fausse couche), puis en vivant une grossesse qui, elle, a été menée à son terme.


J’ai été stupéfaite de constater l’absence complète de dispositif RH, médical, de recherche scientifique, d’information, pendant ce 1er trimestre si lourdement chargé en symptômes handicapants (nausées, vomissements, extrême fatigue) et qui, dans 1 cas sur 4, se solde par une fausse couche, elle-même entourée d’aucun dispositif digne.


Dans les livres, y compris (voire surtout) signés par de grands gynécologues, je ne trouvais qu’une description succincte et condescendante de ce que je traversais, sous la dénomination “petits maux de la grossesse”, et aucune information déculpabilisante sur la fausse couche, alors même que la science prouve que ce drame n’a lieu dans 90% des cas uniquement parce que l’embryon avait un problème au départ.


2. Pour vous, ces 3 premiers mois de grossesse ont-ils un impact sur la vie d’une femme en entreprise ?


Comment est-ce que ça ne pourrait pas être le cas ? Devoir prendre sur soi pour faire des trajets en transport alors qu’on a la nausée voire qu’on vomit (85% des femmes sujettes aux nausées et vomissements) et qu’on est frappée par des vagues de fatigue narcoleptiques (30 à 35% des femmes selon l’étude que j’ai trouvée, et plutôt 90% selon mes observations).


C’est un moment où des aménagements devraient systématiquement être proposés pour que les femmes travaillent de chez elles, ou dans des espaces adaptés a minima. Or l’absence de réflexion, d’information sur cette période en fait un angle mort de la politique RH, auquel s’ajoute la peur d’être discriminée au moment de l’annonce de grossesse (à raison : 1 femme sur 4 a vécu une discrimination ou un harcèlement au travail en raison d’une grossesse ou de sa maternité).


3. Comment expliquez-vous ce phénomène des 3 mois sous silence ?


Je l’explique principalement par l’absence de considération faite aux femmes, qui amène l’éducation à ne pas évoquer le phénomène biologique exceptionnel qui se joue dans leur corps à ce moment-là, entraînant tabous, superstitions et peurs. Et qui entraîne tout simplement une désinformation : que le collège national des gynécologues et obstétriciens continue de nommer les symptômes “petits mots de la grossesse”, qu’aucun dispositif digne ne soit proposé en cas de fausse couche, amène les femmes à se sentir très illégitimes et à plonger dans le secret, la peur, pendant leur entrée en grossesse.


Au-delà de ça, le fait même que l’Assurance maladie ne demande à être informée de la grossesse, et donc d’entamer une protection circonstanciée, qu’à la fin du 1er trimestre, quand la grossesse est estampillée “utile”, est une preuve effarante que le système ne cherche pas à considérer les femmes comme des sujets, mais comme des utérus utiles.


4. Ces 3 premiers mois sous silence ont-ils été les plus compliqués pour vous ? Auriez-vous voulu qu’il y ait des actions misent en place pour éviter cela ?


Oui, de très loin. Et j’aurais bien sûr voulu que des actions soient mises en place. C’est pour cela que j’ai écrit Trois mois sous silence, qui est un livre avant tout politique, puis que je me suis attelée, avec Selma El Mouissi et les cofondatrices du cabinet Issence, à créer le Parental Challenge, pour que les organisations prennent conscience de leurs angles morts et mettent en place des actions basiques pour assurer la dignité des individus et prévenir toute tentation discriminatoire.



5. Sujet délicat, mais dont il faut parler : la fausse couche, comment l’entreprise peut-elle accompagner au mieux les salariées dans ce cas ? Quels dispositifs ?


La charte du Parental Challenge préconise a minima de lever la carence et donc de donner 3 jours d’arrêt rémunérés à 100% aux femmes comme aux seconds parents - bien trop souvent écartés du récit de la grossesse, ce qui entraîne des discriminations sexistes entre autres), tout en s’assurant que le processus RH pour accéder à ses droits protège la confidentialité : en passant par le médecin du travail, ou en ayant une personne référente dans l’entreprise, sans lien hiérarchique direct, pour valider la demande d’arrêt exceptionnel.


6. Comment changer les mentalités et faire disparaître cette « règle des 3 mois sous silence » ?


En informant, donc en éduquant, en mettant les bons termes devant les symptômes, et en prévoyant des cadres (RH, institutionnels, médicaux) pour assurer la santé physique et mentale des femmes.

La question n’est pas vraiment à mon sens que les individus cessent de garder le secret (après tout, du moment qu’il s’agit d’un choix, qui est on pour juger ?) mais que rien ne soit prévu, à aucun niveau, pour cette période.


Quand on a une gastroentérite, on ne le crie pas sur les toits, car chacun sait que les symptômes sont pour le moins triviaux. Pour autant, une recherche médicale a mis au point des traitements, un arrêt est donné, les entreprises s’assurent que leur employé va bien, et a minima, les gens qui ont cette maladie peuvent télétravailler s’ils se sentent de le faire.


Pourquoi cette différence de traitement ? J’ai tendance à croire que c’est parce que le 1er trimestre de la grossesse concerne le corps des femmes…


7. Si vous aviez un conseil pour les entreprises à l’égard des femmes enceintes ? Et pour les femmes enceintes ?


Pour les entreprises, mon conseil principal est de consulter le guide et la charte d’engagement du Parental Challenge (c’est gratuit), puis de faire le point sur les angles morts : les managers, employés, savent-ils quel est le droit du travail ? Tout le monde est-il informé ? Comment ? Qu’est-ce qui a été pensé ? Quels sont les trous dans la raquette ?

Et pour les femmes enceintes, mon seul “conseil” est d’exiger des réponses, du crédit, de la considération. Et cela n’est pas simple à obtenir, surtout dans une période si fragile.




Interview de Judith Acquien par Méline Bourgault pour FoxRH


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