Voici l'interview de Michel Barabel un des collaborateurs de l'ouvrage RH du moment, résultat d'un très beau travail d'équipe, avec au compteur plus de 40 contributions de DRH, experts, et startupers RH, membres du Lab RH.
Sommaire
Qu’est-ce qui vous a poussé à rédiger ce livre ?
Comment expliquer la posture technophobe tenue par les RH face à l’IA ?
Peut-on voir votre ouvrage comme un manuel de sensibilisation à l’IA ?
L’IA de demain pour vous c’est quoi ?
Si vous aviez un seul conseil à donner aux RH afin d’aborder plus sereinement l’IA ?
Question 1 : Qu’est-ce qui vous a poussé à rédiger ce livre ?
J’ai intégré le Lab RH quasiment à ses débuts il y a bientôt 5 ans. Et j’étais sensible à la volonté du Lab RH de se construire sur le triptique : Think (produire de la connaissance sur l’innovation RH)/Do (innover, créer, faire des innovations RH) et Share (être écosystème collaboratif).
Comme je suis enseignant chercheur, je me suis inscrit sur la dimension Think du Lab RH et j’ai donc endossé en 2017 lors de la sortie de l’ouvrage Innovations RH coécrit avec les 2 cofondateurs du Lab RH Jérémy Lamri et Boris Sirbey et mon collègue et ami Olivier Meier la Direction des éditions du Lab RH. A ce titre, fort du succès d’innovations RH, nous avons créé une collection avec Dunod et nous sortons chaque année 2 ouvrages coécrits par des membres du Lab RH.
Donc, pour répondre à votre question, c’est Timothée Ferras, CEO de The Place to Coach, startup membre du Lab RH qui est venu me voir en 2018 pour me proposer un livre sur l’IA et RH. Et comme à chaque fois, fort de ce désir initial, nous avons constitué une équipe composée majoritairement de membres du lab RH pour l’écrire. Au final c’est près d’une cinquantaine de contributeurs qui ont participé à cet ouvrage.
Maintenant, à titre plus personnel, j’étais ravi de coordonner avec Timothée et Charles-henri Beyssere des Horts un ouvrage sur le sujet en coécriture avec Gaelle Bassuel, Thierry Bonetto, Magali Mounier-Poulat et Charlotte du Payrat. Il y a tellement de fantasmes, de peurs, de fausses promesses lorsque l’on parle d’IA et de RH que j’étais convaincu qu’un ouvrage coécrit par des startups de la RH tech, des experts, des enseignants chercheurs et des DRH expérimentant l’IA dans leurs entreprises respectives serait utile à la communauté pour porter un regard objectif sur le sujet et déconstruire les stéréotypes.
Question 2 : Comment expliquer la posture technophobe tenue par les RH face à l’IA ?
Déjà, heureusement, tous les DRH ne sont pas technophobes ! Je pense que cela fait même partie de leurs rôles d’être des champions des technologies au service d’une expérience augmentée pour leurs collaborateurs. D’ailleurs, nous avons plein de beaux exemples de DRH « pro tech » dans ce livre.
Mais je crois que la posture technophobe de certains DRH tient principalement à 5 points :
La focalisation sur l’usage de l’IA dans le domaine du recrutement pour sélectionner des profils avec un bad buzz des retours d’expériences d’entreprises comme Amazon. Toutes les peurs s’expriment alors : l’IA discrimine, l’IA est raciste. Elle élimine les atypiques…
Une surestimation de la promesse « IA » au départ qui a causé des déceptions. Certaines startups ont vendu des solutions du type « appuyer sur un bouton et l’IA va vous trouver parmi 10 000 CV le perfect match ». Certains DRH ont acheté ces solutions et comme cela n’a pas été concluant, ils disent : « on ne nous y reprendra plus ».
Un manque de connaissances de ce qu’est l’IA. Si certains DRH comprenaient comment fonctionne une IA, je pense qu’ils en mesureraient mieux sa valeur et ses limites.
Le budget : les DRH n’ont pas toujours les moyens de tester des solutions IA et cela demande également bien souvent de repenser leur SI, la façon dont ils collectent et consolident la data…
Enfin, le terme IA est vraiment mal choisi : On ne devrait pas parler d’intelligence artificielle mais plutôt de bêtise algorithmique ou d’une informatisation du traitement statistique des données. Car, l’IA, en tout cas pour l’instant, ce sont des data, une puissance de calcul et des méthodes statistiques de traitement. Il n’y a pas d’intelligence. Par contre les progrès technologiques (augmentation de la vitesse de diffusion de l’information, augmentation de la capacité de traitement et de la vitesse de traitement, miniaturisation, …) « la » rendent de plus en plus efficace et notamment dans différents domaines comme l’analyse lexicale, la reconnaissance faciale, …
Pour sortir de cette posture « technophobe », les DRH doivent voir l’IA comme une occasion de se focaliser sur des tâches à plus forte valeur ajoutée telle que la relation par exemple.
Pour finir, je considère que la phase d’évangélisation est quasiment terminée tout du moins pour les DRH de grands groupes. En atteste l’enquête d’Axis Consulting réalisée l’année dernière qui précise que 46% des DRH considèrent qu’ils utiliseront l’IA à un degré important dans les processus RH d’ici 2023.
Sans compter que le Covid-19 est passé par là et qu’il joue un rôle d’accélération des pratiques digitales via le télétravail et le digital learning notamment.
Question 3 : Peut-on voir votre ouvrage comme un manuel de sensibilisation à l’IA ?
La première partie de l’ouvrage rappelle les définitions et dresse un historique de l’IA mais il existe de multiples ouvrages bien meilleurs que le nôtre pour sensibiliser à ce qu’est l’IA. Ceux notamment produits par les chercheurs en IA !
Dès la partie 2, l’ouvrage se concentre sur l’usage de l’IA dans le domaine RH. C’est le cœur de l’ouvrage. L’ensemble des auteurs de ce livre adhère à une approche « IA for good ». Autrement dit, ne partons pas du principe que l’IA est une catastrophe pour l’humanité mais demandons-nous plutôt sous quelles conditions son usage peut avoir un impact positif dans le domaine RH et plus globalement pour la société.
Le message clé de l’ouvrage est double :
Premièrement, il est possible de construire une bonne complémentarité entre IA et Intelligence Humaine
Deuxièmement, une IA doit être éthique et inclusive et pour cela : tout se joue au moment de sa programmation.
Le livre présente de nombreux cas d’entreprises : IBM, Engie, Danone, Schneider Electric, La Gendarmerie Nationale, Air France, Generali, l’AFP… qui explicitent la multiplicité des usages de l’IA dans le domaine RH.
La troisième partie est structurée quant à elle par politique RH : IA et recrutement, IA et développement des compétences, IA et gestion de carrière, IA et développement individuel.
Le lecteur peut ainsi sélectionner les domaines qui l’intéressent plus particulièrement. Comme dans les autres ouvrages de la collection Dunod/Lab RH, nous trouvons dans chaque chapitre des startups du lab qui expliquent leurs solutions et leur philosophie, ce qui permet de voir concrètement les potentialités de l’IA en RH.
Enfin, la dernière partie de l’ouvrage (Partie 4) est un vrai guide pratique pour permettre aux entreprises de s’autoévaluer sur leur maturité en matière d’IA et en fonction des résultats obtenus pour construire et déployer des plans d’actions ad hoc.
Question 4 : L’IA de demain pour vous c’est quoi ?
Déjà je ne crois pas à l’avènement d’une IA Forte autrement dit égale ou supérieure à l’intelligence humaine pour une majorité de tâches ou à la singularité technologique avec une IA dont les performances seraient très largement supérieures à celles obtenues par l’intelligence humaine.
Car, il va manquer pour longtemps encore à l’IA des ingrédients pour égaler l’homme telles que les émotions, le sens commun, la conscience de soi et des autres, …
Mais, les défis posés par l’IA « faible » sont déjà colossaux !
Nous avons déjà un peu d’IA partout dans nos vies (algorithmes de popularité, d’autorité, de réputation, de prédiction, système de recommandation, traduction automatique, reconnaissance faciale, …). Et l’IA sera progressivement capable de prendre en charge de plus en plus de tâches réalisées actuellement par des salariés. Par exemple : répondre à une question administrative en langage naturel posée par un collaborateur en allant rechercher l’information dans une base de données et cela avec un délai de réponse imbattable. Tout collaborateur doit donc recombiner son portefeuille de compétences (abandonner certaines tâches et en réaliser d’autres). Et c’est un challenge (faire le deuil de ses compétences passées, apprendre de nouvelles compétences, …).
Je ne souscris pas non plus au scénario de l’homme dominé par la machine (appauvrissement intellectuel, perte de créativité, taylorisme 3.0…). Idéalement j’aimerais voir l’avènement d’une IA qui réhumanise les individus grâce au développement de la complémentarité Homme/machine. A ce titre, j’espère ne pas assister à une polarisation du marché du travail avec d’une part les « champions de l’IA » et d’autre part les exclus. Cette fracture mènerait à un délitement de la société.
Je fais le pari optimiste que demain l’IA sera mise au service des femmes et des hommes pour progresser, se positionner sur des missions à plus forte VA, pour réaliser leurs aspirations profondes, bref pour s’épanouir professionnellement.
Et je pense que si nous déployons une éthique de conception, une IA inclusive, une IA « for people » et pas seulement « for business » l’IA peut être un atout pour les services RH.
Question 5 : Si vous aviez un seul conseil à donner aux RH afin d’aborder plus sereinement l’IA ?
Focalisez-vous sur les vrais problèmes des collaborateurs ! Puis pratiquez intensivement le Test and learn. N’intellectualisez pas le sujet. Ne restez pas sur vos idées reçues. Testez des solutions sur de petits périmètres (POC, expérimentation) pour vous forger une opinion et trouver des solutions qui sont compatibles avec votre culture et vos caractéristiques. Si cela ne marche pas, n’en faites pas un drame. Et si c’est pertinent, industrialisez-les.
Interview de Michel Barabel [1] (Coordinateur de l’ouvrage) par Sandra Deunier
[1] Michel Barabel est maître de conférences (Paris-Est), où il co-dirige le master 2 « GRH dans les multinationales » (IAE Gustave Eiffel) et la LP « Métiers de la GRH ». Il est également professeur affilié à Sciences Po où il dirige l’Executive Master RH et assure la direction scientifique du certificat « Management et Leadership Complexe » et « Manager à l’ère digitale ». Il est directeur des publications du Lab RH et rédacteur en chef adjoint du MagRH. Il est membre du Prix de l’Initiative RH de l’année (Prix du DRH de l’année).
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